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Les troubles spécifiques du langage et des apprentissages (TSLA) sont des troubles complexes qui ne sont pas facilement repérables. En effet, ils sont cachés et les spécialistes parlent souvent de « handicap invisible ». Une attention particulière des enseignants aux premiers signes apparaissant en classe est donc essentielle, ainsi qu’une collaboration avec les parents et les professionnels de santé.
Comment les repérer ?
Quels sont les premiers signes pouvant permettre à l’enseignant de s’interroger sur la présence d’un TSLA chez un élève ? « Selon les troubles que l’enfant va avoir, les signes d’alerte sont différents mais la fatigabilité de l’élève dès les premières semaines de classe ainsi qu’une concentration et une attention diffuses sont des signaux à ne pas négliger, souligne Laetitia Branciard, vice-présidente de la Fédération Française des Dys et responsable du pôle scolarité et numérique. Ensuite, chaque trouble se manifeste de manière différente. »
Comme les signes les plus fréquemment observés sont liés au travail scolaire, les enseignants sont souvent les premiers à mettre le doigt sur les difficultés de l’enfant, avant même qu’un diagnostic ne soit posé. Pour cela, il est important d’observer les signaux d’alerte, dans différents contextes et sur le long terme, et de noter les écarts persistants malgré les efforts pédagogiques.
L’intérêt d’un dépistage précoce des troubles « dys » est de permettre la mise en place d’une rééducation le plus rapidement possible, de prévenir le retentissement de ces troubles sur le développement psychique et social de l’enfant (isolement, agitation, perte de confiance en soi) et d’atténuer le retentissement de ces troubles sur les autres apprentissages.
- La dyslexie
Ce trouble spécifique des apprentissages avec déficit en lecture est le trouble dont les premiers signes apparaissent le plus tard, entre la grande section de maternelle et la fin du CE1, puisqu’il concerne la lecture.
« Un diagnostic ne peut pas être posé avant le CE2 puisque la dyslexie suppose un retard de deux ans sur la moyenne des élèves », explique Laetitia Branciard.
Cependant, dès l’âge de trois ans, des premiers signes peuvent se manifester à l’oral. L’enfant peut apprendre difficilement les couleurs et faire des erreurs de sons lorsqu’il s’exprime. Il n’est pas non plus un grand fanatique des livres et des histoires. D’autres difficultés portent sur la motricité ou l’orientation spatiale et temporelle. L’enfant éprouve des difficultés à mémoriser des consignes ou à reconnaître et mémoriser des formes simples.
Après le début de l’apprentissage de la lecture en CP, la dyslexie se manifeste par une mauvaise association entre les signes écrits (graphèmes) et les sons (phonèmes) et une grande difficulté à saisir un mot dans sa globalité. L’élève déchiffre lentement et fait des erreurs, confond des lettres comme p et b, m et n, ainsi que des omissions de certaines lettres ou syllabes.
Les enseignants sont souvent désemparés face à ce handicap car les élèves s’expriment souvent bien à l’oral, avec un vocabulaire riche, mais butent sur l’écrit.
Le test ROC (Repérage Orthographique Collectif) mis au point par le laboratoire Cogni-sciences de Grenoble, et téléchargeable gratuitement, permet aux enseignants de CM2, 6e et 5e de repérer les élèves en grandes difficultés de lecture/orthographe ». En savoir plus.
- La dysorthographie
Ce trouble spécifique des apprentissages avec déficit de l’expression écrite se manifeste dès l’apprentissage de l’écriture. Les principaux signes sont une écriture lente, irrégulière et maladroite. Un des signes les plus visibles est, pour l’élève, une grande difficulté à retenir l’orthographe de mots pourtant familiers et fréquents.
L’élève connait aussi des difficultés à associer un graphème à un son, ce qui se manifeste par une confusion entre des sons proches, une inversion des lettres, des erreurs dans la copie de mots ou des substitutions d’un mot par un mot voisin. Il rencontre des troubles du contrôle sémantique, traduits par une inaptitude à mémoriser l’orthographe des mots, ce qui entraine des erreurs d’homophones et des erreurs de découpage. L’enfant a aussi des difficultés dans l’utilisation des marqueurs syntaxiques comme le genre, le nombre, le pronom…
- La dyscalculie
Ce trouble spécifique des apprentissages avec déficit du calcul est l’un des troubles les moins connus et les moins pris en charge ; il existe peu de tests concernant la dyscalculie et peu de remédiations bien que celles-ci peuvent s’avérer efficaces pour « compenser » le handicap.
Les principaux signes pour l’enseignant sont chez les plus jeunes, une difficulté à apprendre la comptine des nombres, des erreurs lors du dénombrement (compter les objets en les pointant un à un), des difficultés à compter sur ses doigts, des difficultés dans l’acquisition du nombre (difficulté à compter jusqu’à 20 sans se tromper), dans la manipulation des nombres (les bons numéros mais dans le désordre), puis plus tard des erreurs de position du chiffre dans le nombre. Sans oublier la difficulté à lire l’heure sur une horloge non numérique où l’enfant a du mal à retenir les notions abstraites comme « moins le quart ».
L’enfant porteur de dyscalculie rencontre également des difficultés avec les notions de temps et de direction, il peut être dans l’incapacité de se rappeler les horaires et les heures des événements aussi bien passés que futurs. Certains sont chroniquement en retard.
- La dysgraphie
Dès l’école maternelle et les apprentissages d’écriture et de dessin, les principaux signes du trouble fonctionnel de l’écriture, la dysgraphie, sont les suivants : une forte pression exercée par les doigts sur le crayon, une incapacité à respecter les marges et à écrire sur les lignes, une écriture difficilement lisible, des difficultés à reproduire à l’écrit la forme des lettres, des espaces incohérents entre les mots et les lettres avec des mots généralement trop serrés. Autres signes possibles, une écriture lente et laborieuse voire une écriture tremblante avec une tendance à repasser sur les traits.
- La dysphasie
Chez les enfants de 3 à 4 ans, ce trouble développemental du langage (TDL) se manifeste par un trouble de réception où l’enfant ne comprend pas les consignes qu’on lui donne, même les plus simples, une pauvreté du langage où l’enfant parle peu et s’exprime mal en n’utilisant que des phrases courtes de deux ou trois mots avec une syntaxe peu fiable. Le vocabulaire est pauvre et l’élève n’utilise pas ou très peu les pronoms dans ses phrases.
En grande section de maternelle, l’enfant souffrant de dysphasie présente un décalage important aussi bien dans l’apprentissage que dans le développement du langage oral avec une utilisation très rare du pronom « qui » dont le sens lui échappe et de grandes difficultés à exprimer les notions de temps et d’espace.
À 6 - 7 ans, l’enfant dysphasique éprouve des difficultés à communiquer. Il y a chez lui un décalage important entre ses compétences intellectuelles et écrites et ses capacités à l’oral. Il confond les mots phonétiquement proches, n’utilise que très rarement les connecteurs logiques et a du mal à parler distinctement. Il peut prononcer des phrases semblant incohérentes, composées de verbes non conjugués et de mots placés à de mauvais endroits.
- La dyspraxie
Ce trouble développemental de la coordination peut se repérer assez tôt. « Dès la maternelle, l’enseignant peut remarquer les enfants qui ne savent pas colorier ou qui dépassent, ne savent pas découper, ont des difficultés à assembler un puzzle ou sont perdus lors de jeux collectifs », souligne Laetitia Branciard.
L’élève va être très frustré de sa tentative manquée car il a planifié correctement mais réalise mal son geste. À la cantine, il peut se priver de manger un aliment ou de se servir à boire par peur de renverser. Il met beaucoup de temps à s’habiller.
« L’enfant est en décalage en termes d’autonomie apparente avec les élèves de sa classe, il est tout de suite en retard, note Valérie Grembi, directrice et coordinatrice pédagogique à l’association Le cartable fantastique. Ce sont des enfants qui vont être très fatigables, obligés d’apporter une double attention à ce qu’ils font ».
Au CP, le passage à l’écriture est difficile et l’enseignant attentif détecte que l’enfant est en difficulté dès qu’il faut tenir une règle et un crayon, dès l’entrée en écriture. En sport, les postures fixes sont difficiles à tenir.
- Le Trouble Déficit de l’Attention avec ou sans Hyperactivité (TDAH)
Un des signes du TDAH concerne l’attention. « Elle est très limitée chez l’enfant et va être fortement sollicitée à chaque double tâche, indique Laetitia Branciard. Dès que l’élève est sur une tâche nouvelle qu’il n’a pas automatisée, sa capacité de concentration sera éprouvée. » Ainsi, les enfants peuvent se concentrer quelques minutes en début et en fin de matinée. Le reste du temps, ils subissent une grande difficulté à entrer dans les apprentissages. « Ils vont être très vite déconnectés de l’action en cours dans la classe et vont connaître des problèmes pour avoir des changements de stratégie rapides », poursuit Laetitia Branciard.
Deux autres signes sont l’oubli très fréquent de matériel et une impulsivité ; l’enfant interrompt l’enseignant sans avoir demandé la parole.
À qui l’enseignant doit-il s’adresser ?
« L’enseignant, de par son métier et son attention aux élèves peut repérer les premiers signes de différentes « dys » et si la famille n’a pas entrepris de démarche, ou n’ose pas en faire, il peut l’accompagner », indique Laetitia Branciard.
Dès qu’il a repéré des premiers signes laissant entrevoir un TSLA, l’enseignant peut inciter la famille de l’élève à entamer les démarches en vue d’un diagnostic. Celle-ci peut alors s’adresser à différents partenaires : le médecin, l’infirmier ou le psychologue scolaire de l’établissement, le Réseau d’Aides Spécialisées aux Élèves en Difficulté (Rased), à un médecin du centre PMI (protection maternelle et infantile), ou encore à un pédiatre.
L’enseignant peut aussi conseiller aux parents de contacter directement un orthophoniste pour faire un bilan, qui consiste en une batterie de tests orthonormés (en lecture et en écriture pour la dyslexie) et qui pose un diagnostic. « C’est au médecin de délivrer une ordonnance pour le bilan orthophonique qui est pris en charge par la Sécurité Sociale », note Laetitia Branciard.
L’orthophoniste rédige ensuite un compte-rendu écrit puis le remet à la famille et au médecin prescripteur. Ce document permet de dresser un bilan des difficultés de l’enfant en confirmant ou pas l’existence d’un trouble du langage écrit. Cette étape de reconnaissance va mener à la mise en place d’un protocole de soins.
Ce document pourra être utilisé dans différentes situations afin d’instaurer des aménagements au sein de la classe : adaptations pédagogiques, aménagements aux examens, demande de reconnaissance de handicap auprès de la Maison départementale des personnes handicapées.
Une fois ce premier bilan établi, les parents peuvent aussi consulter une équipe pluridisciplinaire compétente afin de faire établir un diagnostic plus précis : bilan réalisé par le psychomotricien, bilan complémentaire cognitif réalisé par un psychologue spécialisé en neuropsychologie…
Comment en parler aux parents ?
L’enseignant qui a repéré des possibles signes d’un trouble « dys » ne doit pas hésiter à échanger avec les parents à ce sujet. L’objectif est de mettre en place en véritable partenariat où le premier échange pose les bases de la collaboration enseignant-parent. Ne pas laisser l’enfant s’enkyster dans la difficulté est la priorité !
« L’enseignant doit bien appréhender le contexte de la première rencontre, en particulier le fait que bien des familles se sentent en situation d’infériorité face au professeur et peuvent avoir des complexes », relève Laetitia Branciard. Souvent, les familles ont bien conscience des capacités de l’enfant et de ses déficits mais ne l’ont pas forcément verbalisé comme un trouble « dys » ou un handicap. « Principe de base de la co-éducation, la bienveillance est particulièrement importante lors des entretiens avec les parents et l’enseignant doit comprendre qu’il peut se trouver face à des familles où des parents ont des troubles « dys », ajoute Laetitia Branciard. À ce moment-là, il est peut-être justifié de téléphoner aux parents pour les futurs contacts plutôt que par écrit. »
Selon l’attitude des parents durant ce premier entretien, il n’est pas forcément recommandé de leur conseiller de consulter des professionnels de santé, ce qui pourrait les bloquer ou les effrayer. L’enseignant peut leur proposer de bâtir ensemble un projet pour soulager l’enfant. Si les difficultés persistent, l’enseignant peut évoquer, quelques semaines plus tard, une prise de rendez-vous avec un médecin ou un orthophoniste en prenant appui sur les exercices réalisés en classe avec les adaptations.
Si un enfant nouvellement arrivé dans l’école a un PAP (plan d’accompagnement personnalisé) ou un PPS (projet personnalité de scolarisation), une rencontre peut être organisée avec les parents début septembre afin d’échanger sur les troubles de l’élève. L’enseignant peut demander aux parents un résumé écrit des aménagements nécessaires afin de les conserver. Certains parents et enseignants ont instauré un cahier de communication où les parents informent le professeur en cas de difficultés rencontrées, en particulier les problèmes des devoirs et de la fatigue du soir, des questions récurrentes chez les enfants porteurs de troubles spécifiques du langage et des apprentissages. Ils peuvent aussi indiquer le temps passé aux devoirs.
Il peut enfin proposer au début de l’année une rencontre à chaque période avant les vacances afin de faire le point et voir si les adaptations ont été effectuées et correspondent à ce qui avait été prévu. Soyez en tout cas conscient qu’il s’agit d’un marathon et non d’un sprint car les troubles « dys » sont permanents. La collaboration parents-professeurs et professionnels de santé est primordiale pour la réussite scolaire de l’enfant et son épanouissement.