Le projet "Dans la peau d’un chercheur" organisé par 5 institutions - l'Université de Genève, le CERN(1), le DIP(2) du canton de Genève, le Ministère de l'éducation nationale (France) et le Physiscope - permet depuis le printemps 2011, à 30 classes de la 6e à la 8e (concordat HarmoS) du canton de Genève et de CE2, CM1 et CM2 du département de l'Ain et de Haute-Savoie de prendre part à une activité scientifique originale.
Ce projet vise d'une part, en regard des enjeux liés à l'apparition de la démarche d'investigation dans les plans d'études et les instructions officielles des sciences de la nature, à élaborer des activités innovantes permettant de placer, élèves et enseignants, dans une situation de recherche et de porter une réflexion sur l'enseignement des sciences, et d'autre part, dans une perspective de formation, à offrir aux enseignants, des ressources et un accompagnement leur permettant de mettre en pratique une démarche d'investigation avec leurs élèves. En outre, la création d'une communauté d'apprentissage, prenant la forme d'un site internet (http://www.unige.ch/fapse/dlpc/) sert de plaque tournante au projet.
"Dans la peau d'un chercheur" réunit ainsi, au sein d'une même communauté, des enseignants, des élèves, des formateurs, des enseignants universitaires et des chercheurs provenant d'un même bassin de population, la région franco-genevoise.
Description de la situation
"À Genève, 10 000 physiciens du CERN mènent l'enquête. Ils poursuivent des recherches sur des particules élémentaires tellement infimes et fugaces qu'elles ne peuvent pas être étudiées directement. À quelques kilomètres de là, à l'Université de Genève, d'autres physiciens explorent des phénomènes mystérieux. Comment font-ils ?" (3)
"Dans la peau d'un chercheur" propose aux enseignants et à leurs élèves de vivre ensemble une démarche d'investigation similaire à celle des physiciens. Chaque classe a reçu des boîtes mystérieuses qu'il est impossible d'ouvrir (4). Les classes doivent alors mettre en place une démarche pour comprendre ce qu'elles renferment en procédant par hypothèses et expériences successives.
La situation proposée aux élèves s'appuie sur une analogie : la structure de la matière – une boite en carton contenant différents objets.
En effet, les physiciens, pour appréhender la structure de la matière, ne peuvent pas la visualiser directement. Ils doivent donc faire appel à des modèles qu'ils doivent tester en imaginant des dispositifs technologiques permettant, grâce aux traces issues des accélérateurs du CERN, d'en savoir plus sur les caractéristiques et sur les comportements des éléments les plus infimes de la matière.
La consigne proposée aux élèves tente de recréer ces mêmes conditions :
"Voici une boite en carton. Sans endommager la boite et sans l'ouvrir, vous allez identifier ce qu'il y a à l'intérieur le plus précisément possible".
Ces contraintes empêchent donc de pouvoir identifier visuellement le contenu de la boite et orientent les élèves vers la mise en place de dispositifs permettant d'explorer les caractéristiques et les comportements des objets présents dans la boîte. Ainsi, d'une activité de devinette, tentation première des élèves, correspondant à un contrat didactique présent dans bien des situations, les élèves sont amenés à changer de posture, à redéfinir leur projet de recherche. Ils se voient donc forcés de renoncer à leur envie d'identifier le nom des objets et doivent donc recourir à diverses stratégies et imaginer des dispositifs qui leur permettront d'appréhender certaines caractéristiques des objets contenus dans la boite.
Contenu de la boite
Afin de susciter des démarches d'investigation diversifiées, le contenu de la boîte a été mûrement réfléchi. Quelques principes nous ont conduits à sélectionner des objets permettant de pouvoir mettre en évidence différents concepts scientifiques, par exemple en lien avec des propriétés de la matière, avec des notions de forces et de mouvement, avec des caractéristiques du vivant, ou mobilisant certains sens comme l'odorat ou l'ouïe (entre autre un objet sphérique, un objet en acier, une épice, des grelots, un caillou, une carte sur laquelle est inscrit un message, …).
Différents dispositifs peuvent ainsi être imaginés afin d'investiguer sur le contenu de la boite, par exemple en travaillant sur les sons, les déplacements des objets, les odeurs ou l'aimantation des objets métalliques.
Afin de placer les enseignants dans la même situation que leurs élèves, nous avons décidé de ne pas leur divulguer le contenu de la boite.
Déroulement
Phase 1
Dans un premier temps, les élèves, sur simple observation, sans toucher la boite, doivent émettre des suppositions concernant son contenu. Dans la plupart des cas, les élèves citent une liste d'objets, une gomme, une montre, une paire de ciseaux, un bouchon,… Seuls indices donc, la taille de la boite, permettant d'énoncer des objets de dimension inférieure, ou encore la matière de la boite, du carton, permettant d'exclure toute forme de liquide.
Phase 2
Un second temps autorise la manipulation de la boite. Se dégagent alors d'autres stratégies reposant sur des représentations en lien avec la perception des objets se déplaçant dans la boite et leurs bruits, ainsi que sur l'odeur dégagée. "Il y a un objet rond, qui roule" ; "Ce n'est pas très lourd" ; "Il y a plusieurs objets" ; "Ça sent une odeur d'épice" ; "Les objets sont de poids différents" ; "On entend le bruit d'une clochette ou d'un grelot" ; …
Phase 3
La troisième phase consiste à imaginer des dispositifs permettant d'en savoir plus, de voir si les suppositions énoncées pourraient être validées ou invalidées par une ou plusieurs "expériences". Les élèves ont une grande latitude quant à la mise en place des dispositifs. Ils disposent du matériel de classe habituel et peuvent amener à l'école du matériel qu'ils trouveront chez eux. Une boite en carton, de même taille que la boite mystérieuse, leur est fournie.
Phase 4
La réalisation des expériences constitue la quatrième phase de la séquence.
Phase 5
Une cinquième phase incite à un travail d'analyse, de validation des différents dispositifs et un apprentissage de la distinction entre "données brutes" (ce que l'on peut percevoir - sens - et/ou mesurer, constats et/ou déductions ; ce que l'on peut déduire en s'appuyant directement sur les données) et interprétations (ce que le faisceau d'indices permet d'imaginer et/ou d'expliquer). Pour ce faire, les enseignants peuvent utiliser les différents journaux de bord que les autres classes publient sur le site. Ce travail incite les élèves à requestionner la question de la "preuve scientifique" par des allers et retours entre leurs dispositifs et les certitudes ou incertitudes qui en découlent.
Phase 6
Les classes vont ensuite à la rencontre de physiciens pour comparer leur démarche expérimentale avec celles mises en œuvre au CERN ou à l'Université de Genève. Le projet se termine par une conférence de ces "chercheurs en herbe", à la manière des scientifiques. Les élèves y présentent leurs propres résultats ou expériences, sous la forme d'un poster.
Pour conclure
Ce projet peut être reproduit au sein d'un établissement ou entre plusieurs écoles proches. Il permet de faire prendre conscience, aux élèves comme aux enseignants, ce qu'une authentique démarche d'investigation implique. En effet, dans cette situation, tout n'est pas préétabli. Une large place est laissée à l'imagination et à la créativité des élèves. Les dispositifs doivent être élaborés, construits, testés, revus et parfois abandonnés. Les élèves doivent également pouvoir justifier leurs découvertes et leurs conclusions. Les connaissances scientifiques ne sont pas absentes, mais elles doivent être construites et mobilisées en fonction des pistes choisies. Le rôle de l'enseignant est très important, puisqu'il guide les élèves dans l'élaboration de cette réflexion.
Ce projet montre que l'enseignement des sciences consiste avant tout placer les élèves dans des situations qui développent la curiosité, une ouverture vers les savoirs et qui lui donnent des moyens pour questionner le monde et inventer des dispositifs "scientifiques" lui permettant de trouver des pistes de réponses.
2. Département de l'Instruction Publique
3. https://danslapeaudunchercheur.web.cern.ch/danslapeaudunchercheur/
4. Selon une idée de Stéphan Petit - CERN