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Comme nous le disons dans l'introduction de ce dossier, pour comprendre l’état actuel de l’enseignement des sciences, il est important de connaitre les fondements historiques qui ont conduit à l’enseignement des sciences aujourd’hui. C'est en retraçant les étapes de l’histoire de l’enseignement des sciences que nous comprenons son enseignement aujourd'hui.
La leçon de choses - Fin du XIXe siècle
La leçon de choses s'est imposée comme une méthode d'enseignement des sciences de la fin du XIXe siècle jusqu'à la refonte des programmes des années 1960. Cette méthode consistait à mettre l'élève en présence d'objets ou de documents afin de lui faire acquérir la connaissance scientifique. Elle supposait que l'observation ou la consultation de documents suffisaient pour faire acquérir les concepts scientifiques. La leçon de choses mettait aussi l'accent sur l'apprentissage d'un vocabulaire spécifique pour nommer les choses. Plus simplement, cette méthode privilégiait la qualité de l'explication.
La pédagogie de l'éveil – Dès 1960
La pédagogie de l'éveil, mise en place dès les années 1960, s'est appuyée sur les nouvelles théories du développement de l'enfant diffusées à cette époque. Ainsi, la psychologie cognitive a progressivement révélé certains mécanismes de l'apprentissage, notamment l'importance de tenir compte des « représentations » (ou « conceptions ») de l'élève et montré les limites d'une méthode basée sur l'observation, approche positiviste, empiriste et inductive, comme l'était la leçon de choses. L'apprentissage consiste dès lors plus en une interprétation, une reconstruction ou une transformation de concepts, plutôt qu'une simple mémorisation d'informations et de mots. La pédagogie de l'éveil part donc des questionnements de l'élève, de ses conceptions initiales et du primat de la problématisation sur l'observation. L'accent est également mis sur l'activité de l'élève et sur l'importance du tâtonnement expérimental.
La démarche expérimentale – Dès 1980
La pédagogie de l'éveil, jugée trop globale, a été écartée au début des années 1980 avec l'apparition dans les programmes d'un plus grand cloisonnement disciplinaire et le recrutement, dans le secondaire, d'enseignants possédant des formations spécifiques (physiciens, chimistes, biologistes, etc.).La démarche expérimentale s'est alors imposée sous l'impulsion des enseignants qui voyaient en elle une méthode permettant d'améliorer l'acquisition des connaissances scientifiques tout en rendant les élèves « actifs ». Cependant, elle a souvent été dénaturée par ceux et celles qui l'ont introduite dans les classes. Une vision figée de la démarche expérimentale se met alors en place dans les pratiques et devient un modèle à suivre pas à pas, donnant naissance à la fameuse formule OHERIC (Observation, Hypothèse, Expérience, Résultats, Interprétation, Conclusion). Aussi, sous prétexte de les rendre actifs, les élèves sont amenés à réaliser des expériences « pour voir » ou « pour mettre en évidence des concepts scientifiques » – souvent en appliquant un protocole d'expérience comme on le fait avec une recette de cuisine –, plutôt que d'entrer dans une véritable démarche scientifique en mettant à l'épreuve des hypothèses imaginées par les élèves eux-mêmes.
La démarche d'investigation – Dès 2000
Au début des années 2000, dans la plupart des pays occidentaux, de nouveaux programmes ont vu le jour, souhaitant marquer, une fois encore, un tournant vis-à-vis d'un enseignement scientifique s'attachant presque exclusivement à faire acquérir des connaissances théoriques. En réaction aux lacunes des élèves dans le traitement des problèmes scientifiques et à une désaffection des filières scientifiques, un groupe d'experts de la Commission européenne, présidé par Michel Rocard (Rocard et al., 2007), recommande d'instaurer une approche basée sur la démarche d'investigation. Cette méthode, initiée dès la fin des années 1990 dans les pays anglo-saxons (National Research Council, 1996), met tout autant l'accent sur le développement de compétences que sur la construction de concepts scientifiques, ainsi que sur la motivation des élèves. Ainsi un repositionnement apparaît clairement dans les finalités de l'enseignement des sciences : l'acquisition des connaissances est relativisée en faveur d'un enseignement cherchant à développer chez les élèves des démarches, des attitudes et une culture scientifiques. La démarche expérimentale voit ainsi perdre sa suprématie au profit de la démarche d'investigation, qui affiche de manière plus explicite des ambitions de développement de savoir-faire et de savoir-être.
La démarche d'investigation aujourd'hui
Bon nombre d'enseignants, de formateurs ou de didacticiens considèrent la démarche d'investigation comme une démarche pédagogique qui permettrait de faciliter l'appropriation des savoirs scientifiques, de rendre plus efficace l'enseignement des notions scientifiques. Elle est souvent décrite comme une succession de phases (sept étapes dans le canevas apparaissant dans les programmes de collège de 2005), qu'il s'agit de dérouler de manière chronologique.
Or, dans son acception originelle, la démarche d'investigation cherche d'abord à développer chez l'élève sa capacité à identifier des situations-problèmes, à cerner des problématiques scientifiques, issues de questionnements, souvent engendrés par des situations troublantes, dérangeantes, ou par des phénomènes contre-intuitifs (voir le concept d'obstacle de G. Bachelard1).
De plus, elle ne conçoit pas une hypothèse comme un processus inductif, une généralisation d'un phénomène récurrent observé, ni comme une anticipation de résultat (est-ce que cette balle va flotter ou couler), mais comme un processus cognitif et créatif, une élaboration de propositions, d'affirmations ou d'explications théoriques, qu'il s'agit de confronter à la réalité des faits, grâce à de l'observation, de l'expérimentation ou à la confrontation avec différents documents. Il s'agit en fait d'une mise en œuvre d'une démarche de type hypothético-déductif.
La démarche d'investigation doit être comprise en tant que démarche complète, intégrant différents aspects de la construction de la connaissance scientifique (épistémologie), des aspects de compréhension de la science (philosophie des sciences – qu'est-ce que la science ?), un travail sur les outils propres aux sciences, l'apprentissage de compétences indispensables en sciences, tout autant que la construction de concepts et de savoirs scientifiques.
Cette perspective peut se traduire par la mise en place d'une démarche d'investigation en trois phases, existant parfois de manière simultanée, la première consiste à élaborer une problématique, à identifier des questions et à délimiter un objet d'étude ; la deuxième cherche à imaginer et mettre en place un dispositif de recherche ; la troisième permet d'identifier les savoirs et savoir-faire construits, les communiquer et les mobiliser dans d'autres situations.
C'est dans ce contexte et avec ces héritages que le nouveau programme 2016 a été élaboré.