Pour avoir accès à cette ressource, vous devez être prescripteur de ce produit


Pour avoir accès à cet article, vous devez posséder ce produit : Veuillez répondre à la question ci-dessous pour accéder à ce complément produit.


Gabriel Dumouchel est professeur en pratiques pédagogiques à l'université du Québec à Chicoutimi. Il est l'un des premiers à s'être penché sur les enseignants et leur influence sur les réseaux sociaux. Il considère que ces leaders informels sont importants pour les futurs enseignants qui les suivent.

Quelles sont les réseaux sociaux privilégiés sur lesquels interviennent les enseignants qui s'adressent aux jeunes ?

TikTok est de plus en plus populaire chez les enseignants québécois pour rejoindre les élèves et leurs collègues enseignants ou même les instances gouvernementales pour leur signaler des problématiques en éducation.

Sur quelles thématiques interviennent-ils ?

Les enseignants québécois présents sur TikTok et YouTube vont présenter des petites capsules vidéo sur des astuces en enseignement ou pour apprendre. Ils vont aussi se partager des idées d'activités à faire en classe, de gestion de classe, d'évaluations, etc. Des manières d'organiser leur classe selon une période de l'année. Certains se donnent des astuces concernant la façon de faire de la suppléance étant donné que nous sommes en situation de pénurie au Québec, donc pour aider des enseignants remplaçants qui ne sont pas nécessairement formés adéquatement pour enseigner et qui ont besoin d'aide concrète émanant du terrain qui les attend (ce que les enseignants sur Tiktok et ailleurs fournissent gratuitement et volontairement). D'autres vont utiliser les médias sociaux pour attirer l'attention des médias traditionnels et des instances gouvernementales sur des problèmes rencontrés dans les écoles. Certains innovent pour enseigner autrement, notamment par la musique ou par l'usage des vidéos/balados.

Vous parlez "d'influenseignants". En quoi se rapprochent-ils des influenceurs selon vous ?

Ils utilisent les médias sociaux pour sortir l'enseignement des murs de leur école. Ils tentent de valoriser l'éducation par eux-mêmes plutôt que d'attendre/espérer que les instances gouvernementales et les médias traditionnels fassent ce travail de valorisation publique et citoyenne. Certains vont aussi utiliser cette fenêtre pour vendre du matériel scolaire qu'ils ont créé et qui est très populaire auprès de leurs collègues (puisque c'est du concret issu de leurs expériences, du matériel souvent clé en main, loin - ou complémentaire - du matériel vendu par les maisons d'édition reconnues par le ministère de l'Education). Certains vont aussi avoir des partenariats avec des entreprises (produits et services) qui seront signalés ou mis en avant au sein de leurs publications. Cette approche commerciale des "influenseignants" semble minoritaire au Québec francophone, mais elle est beaucoup plus courante chez les enseignants américains.

Qu'apportent ces enseignants aux jeunes qui les regardent ? À leurs collègues ?

Ils arrivent à rejoindre plus facilement les apprenants qui sont branchés continuellement sur les médias sociaux. Ils vont où les apprenants se trouvent et non le contraire. Ils interagissent avec les apprenants pas pour les juger (ce que plusieurs adultes font allégrement face aux jeunes), mais pour les guider et les soutenir dans leurs apprentissages et même la construction de leur identité numérique. Les collègues enseignants voient en eux des leaders qui valorisent leur travail alors que l'Education est malmenée de manière éhontée dans la sphère publique depuis trop longtemps. Ils voient des solutions pratiques face aux problèmes rencontrés dans les écoles. Ils ont souvent plus de crédibilité et de respect que les chercheurs et professeurs des universités souvent déconnectés des réalités scolaires actuelles qui publient des articles que peu de professionnels lisent ou diffusent des conférences ronflantes où le vocabulaire employé sert à complexifier la réalité éducative plutôt qu'à la simplifier et aider réellement les enseignants à améliorer leurs pratiques.

Ce sont des leaders informels et ils ont encore plus d'importance pour les futurs enseignants qui les suivent pour avoir une meilleure idée de ce qui les attend sur le terrain. Et ils font tout cela (publier sur les médias sociaux et interagir avec les commentaires) de façon gratuite par-dessus leurs heures de travail officielles.

Quels sont les avantages de ce travail sur les réseaux sociaux selon vous ?

Ils valorisent l'enseignement, l'éducation dans son ensemble à l'extérieur des murs de l'école. Permettre l'innovation pédagogique de la part des enseignants. Permettre la collaboration entre enseignants, des échanges de pratiques. Permettre de vulgariser des notions ou des démarches d'apprentissage pour les apprenants. Permettre de répondre aux questions d'apprenants qui ne sont pas nécessairement leurs élèves. Permettre de valoriser le travail des élèves en le diffusant sur les médias sociaux, de rendre leurs travaux concrets et importants à leurs propres yeux et à ceux de leur famille et amis.

Et quelles en sont les limites ?

C'est une pratique chronophage. Certains abandonnent après un moment, car c'est énormément de travail informel en plus du travail qu'ils ont déjà à faire dans le cadre de leurs fonctions. La frontière entre placement de produits éducatifs et enseignement est souvent floue et peut représenter des problèmes au niveau de l'éthique professionnelle. Il faut aussi gérer son identité professionnelle numérique, ce qui peut mener à des dérapages éthiques ou des conflits publics avec des internautes qui les attaquent (trolls, parents, citoyens, élèves mécontents). Des pratiques éducatives que la littérature scientifique a infirmées pourraient aussi être promues par des "influenseignants" alors qu'elles devraient être délaissées ou nuancées.

Retrouvez d'autres articles sur le même thème