© Adobe stock / Tera Vector
Une professeure spécialiste des troubles "dys", un enseignant d’histoire qui démythifie les fake news, et un professeur des écoles créateur de jeux… Trois approches différentes des réseaux sociaux mais une même passion pour partager des informations auprès des élèves et de leurs collègues.
"Dans l'antiquité, les Égyptiens avaient l'électricité." Ces propos du rappeur Gims tenus sur une vidéo Youtube mise en ligne à la mi-avril n'ont pas manqué de faire réagir Yann Bouvier. Le professeur d'histoire alias @YannToutCourt, un des plus suivis sur Internet, a posté sa réponse quelques dizaines d'heures après le discours du chanteur, qui cumulait des centaines de milliers de vues. Celui-ci clame que les historiens cachent des faits ? "Bon, pourquoi pas ? Alors, ce serait bien d'apporter des preuves… Mais on va essayer de pointer du doigt ce qui ne va pas dans le discours qu'on vient d'écouter." L'introduction est faite d'un ton tranquille. Et le professeur d'histoire, de reprendre point par point les théories sans jamais parler de propos complotistes. Une parole affable, de l'humour, des expressions faciales inimitables, des faits précis, pas d'accusation ; @YannToutCourt est apprécié par ses 750 000 abonnés sur TikTok et sur Instagram (75 000 abonnés ou 75k pour faire plus court) pour ses "debunks", les démythifications de discours. Il ne manque pas de travail avec les pseudo-historiens qui ont pris de l'ampleur en ligne ces dernières années.
"C'est toute la difficulté sur les réseaux sociaux, il y a un algorithme qui ne pardonne pas et l'enjeu est de trouver un équilibre entre accrocher, garder l'attention et présenter un contenu nuancé", explique l'enseignant qui a commencé par un site Internet, bien distinct de sa présence sur les réseaux sociaux. Il rassemble 50 000 visiteurs chaque mois. "J'y mets des cours en libre accès et beaucoup d'élèves peuvent y trouver des ressources intéressantes pour eux."
Ils sont des dizaines de professeurs de la maternelle au lycée, dont le visage et les vidéos font le quotidien des adolescents. Parmi les plus connus, @Wondermath, une enseignante de mathématiques, @Monsieurlechat94, un enseignant de physique-chimie au collège, son collègue @timthc (voir entretien dans ce dossier) ou encore @Athenasol, professeur de français. Cette dernière parle orthographe, décortique les règles grammaticales. Avec 1 million d'abonnés sur TikTok, elle veut rendre populaire et accessible la langue française, en mettant aussi en avant son engagement féministe. Le crédo commun de ces profs stars des plateformes et enseignants "normaux" dans leur salle de classe, est d'éveiller la curiosité pour leur matière et que les abonnés - adolescents - élèves puissent apprendre autrement. Le contenu pédagogique de ce travail adossé à un style très rythmé (qui n'exclut pas les déguisements comme cette perruque portée par @YannToutCourt pour jouer Louis XVI) attire les curieux. "Je cherche à garder l'équilibre entre la rigueur de l'historien et la vulgarisation nécessaire à travers des vidéos d'1 minute 30, pas plus, sinon, je risque de lasser". Il n'hésite pas, quand un thème éveille sa curiosité, à le traiter, à prendre beaucoup de temps de montage, peu importe que ces vidéos fassent "seulement" 20 000 vues. "À la fin, mon objectif est de faire qu'un maximum de jeunes et moins jeunes s'interrogent et mettent en branle leur esprit critique, qu'ils aillent vérifier par eux-mêmes certaines affirmations."
Et la classe est loin de passer au second plan. L'enseignant considère que sa présence sur les réseaux sociaux n'est pas la suite logique de son métier. "Enseigner se passe en classe, la transmission, la vraie, celle qui est efficiente, se passe en physique pas par les réseaux, insiste Yann Bouvier. Je suis clair qu'on ne peut pas remplacer les enseignants par quelque outil numérique que ce soit. Je n'attends pas de l'institution un retour, je n'ai aucun retour de mes inspecteurs et je ne le recherche pas."
Autre salle, autre ambiance mais une passion partagée lorsque @isafil (Isabelle Ducos-Filippi) poste des éclairages synthétiques pour mieux appréhender les élèves présentant des troubles dys ou que Fabrice Rechede alias @maitrefafa, présente un jeu qu'il vient de créer pour ses élèves. Ces deux enseignants comme de nombreux autres, partagent des ressources sur Instagram ou Twitter. A l'instar de Charivari, une des enseignantes pionnières sur les réseaux sociaux (voir entretien dans ce dossier), ils s'adressent à leurs collègues. "Ce qui m'a séduit sur Twitter est la forme très concise de l'écriture, son exigence de rigueur, dont je m'empare comme un exercice de style depuis une douzaine d'années", indique Isabelle Ducos-Filippi. Professeure agrégée de lettres classiques, elle enseigne au collège, elle a décidé de devenir enseignante spécialisée dans le champ du handicap cognitif voici quinze ans. Désormais, elle partage ses semaines entre formation et enseignement. "En remarquant combien le fonctionnement de l'école inclusive manquait de transparence, combien mes collègues étaient démunis, exprimaient leur souffrance et leur besoin de formation face aux élèves porteurs de troubles cognitifs, j'ai commencé à partager des ressources, outils, pratiques et savoir-faire qui étaient les miens quand je suis devenue enseignante spécialisée." Avec 24 700 abonnés - un chiffre important qui l'a prise au dépourvu -, elle a un rythme de deux-trois tweets par semaine en deux heures. Elle a gagné en influence. "Je considère cette activité comme un engagement personnel. Je me suis donné à moi-même la mission de partager mes compétences et de mettre en avant les valeurs que j'ai en commun avec l'École inclusive. Je me sers donc de ce réseau social pour diffuser, éclairer, faire grandir et non pour de la polémique ou de la politique." Considérant sa présence sur Twitter comme une prolongation de son métier, elle y éprouve toujours autant de plaisir et d'enrichissement personnel. Sa visibilité en ligne lui a apporté la possibilité d'écrire des ouvrages sur l'école inclusive et de se rendre dans de nombreuses écoles du monde entier.
Des contacts, Fabrice Rechede n'en manque pas depuis l'augmentation de son nombre d'abonnés à son compte Instagram (33 000 aujourd'hui). Après les honneurs de la presse et la télévision régionale, une équipe de France 2 va venir filmer plusieurs fois sa classe, pour voir les élèves gagner en autonomie et comment évoluent les aménagements de la classe.
Enseignant depuis 2012 en CM1, en maternelle puis en cycle 3 dans la même école, il est désormais directeur et chargé de CM1-CM2 dans une école à dix minutes de chez lui, non loin de Mont-de-Marsan, dans les Landes. "J'ai commencé à poster en mars 2019 sur un blog puis j'ai réalisé des vidéos pédagogiques pendant le confinement pour intéresser mes élèves qui étaient chez eux", raconte le jeune trentenaire. "En essayant de raccrocher avec des activités, j'ai créé mon premier jeu de plateau, autour du calcul des durées, des heures de départ et d'arrivée entre des pays et des villes et on y jouait avec les élèves en visio."
Il est ensuite allé sur Youtube pour des vidéos sur les durées en anglais, téléchargeables par les parents. "Je me suis fait une autoformation à la vidéo pendant le confinement et j'ai continué car j'aime beaucoup le fait de tester des idées créées avec les élèves". Comment naissent les jeux de @Maitrefafa ? "Quand je remarque qu'une bonne moitié d'entre eux ont des difficultés (sur les encadrements de nombres, l'accord du sujet…), je réfléchis, souvent en voiture, et propose mes idées aux grands élèves." Cela donne un jeu Pokémon qui travaille plusieurs compétences en mathématiques sur les contenances, les longueurs, les grands nombres et les nombres décimaux ou le devine-tête de la grammaire. "J'ai réinvesti les personnages en les remplaçant par des mots (déterminant, nom, adjectif…) à trouver, à partir du CP. Sans aucune lassitude sur les réseaux sociaux, Fabrice Rechede investit une dizaine d'heure par semaine sur Instagram, qui est devenu une passion. Il réfléchit à développer le côté créateur de jeu et a été contacté par deux maisons d'édition pour les développer. "Mais je souhaiterais conserver une classe car j'ai besoin de voir les élèves progresser et j'aime toujours autant tester mes idées auprès d'eux."