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A l’heure où les réseaux sociaux sont omniprésents dans la vie des adolescents, les questions autour des fake news se multiplient. Les adolescents sont-ils capables de discerner entre les vraies et les fausses informations ? Est-il possible de les aider à développer cette capacité ? Et si oui, par quels moyens ?
Depuis plusieurs années, nous travaillons en collaboration avec le Laboratoire de Psychologie du Développement et de l’Education (LaPsyDE – CNRS), sur un projet autour des fake news dirigé par Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’Université Paris Cité et directeur du LaPsyDE, et Mathieu Cassotti, professeur de psychologie du développement à l’Université Paris Cité et membre du LaPsyDE. Nous collaborons avec le LaPsyDE notamment sur le volet interventionnel du projet, piloté par Maria Ghazi, avec également la participation d’autres membres du laboratoire dont Marine Lemaire. Ces études ont par ailleurs été menées en collaboration avec deux enseignants de collège : Christophe Mousset, professeur documentaliste, et Emilie Decrombecque, professeure de lettres modernes. L’objectif de ces recherches est d’explorer des pistes permettant d’accompagner les adolescents pour mieux évaluer les informations.
Pourquoi tombons-nous dans le piège des fake news ?
La recherche a déjà montré que la capacité de distinguer les vraies des fausses informations est en partie liée à la capacité à résister à ses propres automatismes pour ensuite s’engager dans une pensée plus analytique et délibérative. En effet, il a été démontré que plus on est capable de résoudre des problèmes comportant un piège et nécessitant d’inhiber un automatisme de pensée pour avoir la bonne réponse, plus on est capable d’éviter le piège des fake news.
L’adolescence, une période spécifique ?
- Une grande partie des adolescents utilisent au quotidien les réseaux sociaux. Ils sont donc confrontés à de nombreuses informations venant de sources plus ou moins fiables. De plus, les likes, commentaires et partages, peuvent exercer un fort impact sur leurs choix et décisions. Il devient alors nécessaire de munir les adolescents d’outils leur permettrant de moins croire aux infox.
- Le cerveau des adolescents est encore en plein développement. Le cortex préfrontal, impliqué entre autres dans la capacité de résister à ses automatismes, connait une maturation tardive, jusqu’au début de l’âge adulte. L’adolescence peut alors constituer une période de vulnérabilité où l’on pourrait plus facilement tomber dans le piège d’infox.
- Par ailleurs, une étude menée au LaPsyDE a montré que les élèves de 6e ont beaucoup de mal à distinguer entre le vrai et le faux dans les informations, et que cette capacité se développe de façon progressive entre la 6ème et la 3ème. En outre, cette amélioration est en partie sous-tendue par le développement progressif de la capacité de résister à ses automatismes et de s’engager dans une pensée analytique.1
Ces données suggèrent qu’entraîner les adolescents, dans le contexte des informations, à résister à leurs propres biais de pensée, pourrait constituer un levier intéressant et potentiellement efficace pour développer leur capacité à traiter correctement les informations.
Adolescence et fake-news, comment agir ?
Depuis 2022, plusieurs interventions portant sur la thématique des informations ont été co-créées par les chercheurs du LaPsyDE et deux enseignants de collège, Emilie Decrombecque et Christophe Mousset
Dans une première étude menée auprès de 89 enseignants et plus de 3000 collégiens de la 6ème à la 3ème, nous avons créé deux interventions d’Education aux Médias et à l’Information (EMI) dans lesquelles on apprend aux collégiens à s’intéresser à la source, l’objectif de l’auteur ou encore la présentation de l’information. Dans l’une de ces deux interventions, nous avons également entrainé les élèves à résister à leurs automatismes, qui peuvent les faire tomber dans le piège d’infox, par exemple en se précipitant et adhérant à des informations sensationnelles mais fausses. Nos résultats ont montré que, contrairement à l’intervention EMI n’incluant pas une résistance aux automatismes, l’intervention EMI + Résistance aux automatismes a abouti à une meilleure évaluation des infox (les élèves les considérant comme moins vraies). Cet effet a été observé une semaine après l’intervention. Néanmoins, nous avons également constaté, à plus long terme, une augmentation du doute vis-à-vis des vraies informations (sans que les élèves ne les considèrent comme fausses pour autant). Cet effet – généralisation du doute – a déjà été retrouvé dans la littérature scientifique dans des interventions auprès d’adultes mais a été rarement investigué chez les adolescents.
Découvrir plus en détail les résultats de cette étude.
Cette première étude collaborative entre chercheurs et enseignants a déjà donné lieu à une publication scientifique !2
Dans une deuxième étude, nous avons souhaité comparer une intervention EMI + Résistance aux automatismes, largement inspirée de celle de la première étude, à une nouvelle intervention dont le but est de familiariser les élèves avec quatre techniques manipulatives souvent utilisées pour véhiculer des informations ou opinions trompeuses. Plus d’une trentaine d’enseignants et environ 1000 collégiens de la 6ème à la 3ème ont participé à l’étude. Nos résultats ont révélé que l’intervention EMI + Résistance aux automatismes a amélioré la capacité des élèves à détecter les infox, une semaine après l’intervention. Quant à l’intervention familiarisant les élèves avec des techniques manipulatives, elle leur a permis de devenir plus sceptiques vis-à-vis d’informations ou opinions manipulatives, avec certains effets retrouvés à moyen terme (une semaine après l’intervention) et d’autres maintenus à long terme (deux mois post-intervention).
Découvrir plus en détail les résultats de cette étude.
Fort de ces deux premières études, nous avons souhaité mener une troisième étude dont l’objectif est de créer et mesurer l’impact d’une séquence pédagogique plus longue, de 6 séances, en combinant, retravaillant et enrichissant des éléments pédagogiques abordés dans les interventions précédentes, dont :
- Les indices à prendre en compte lors de l’évaluation de l’information tels que l’objectif de l’auteur ou la présentation de l’information.
- La résistance à des biais qui peuvent faire tomber dans le piège des infox.
- Des techniques manipulatives utilisées dans des informations et opinions.
Près de 75 enseignants et 3000 élèves de collège mais aussi, cette fois-ci, de lycée, de la 6e à la 1ère, ont participé à cette étude dont les résultats sont prometteurs : la séquence de 6 séances a permis aux élèves de moins tomber dans le piège de la manipulation dans l’information et l’opinion, et ce autant à moyen qu’à long terme. Les effets sont par ailleurs plus importants et nombreux que ceux retrouvés dans l’intervention abordant les techniques manipulatives testée dans l’étude précédente. La séquence a également permis aux élèves de moins adhérer à des théories complotistes, avec des effets maintenus sept semaines après l’intervention.
En comparaison, une intervention de 2 séances centrée sur la nécessité de résister à ses automatismes de pensée dans le cadre de problèmes de raisonnement et sans lien direct avec les informations, a pu se transférer (uniquement) à l’adhésion aux théories complotistes.
Les résultats plus détaillés de cette étude sont à retrouver en pièce-jointe.
En conclusion
Nous souhaitons tout d’abord remercier tous les enseignants qui ont participé à ces 3 ans d’expérimentations en collaboration avec les chercheurs du LaPsyDE. Votre investissement nous a permis d’aboutir à de belles avancées scientifiques dans le domaine du traitement des informations à l’adolescence !
Un des constats principaux de nos études est que l’entrainement à la résistance aux biais constitue une piste prometteuse dans la lutte contre les informations et opinions trompeuses.
Dans le contexte actuel où les flux d’informations nous parviennent très rapidement sur les réseaux sociaux, il devient impératif de munir les adultes de demain d’outils pertinents pour filtrer correctement les informations. Les trois ans de recherches que nous avons menées en collaboration avec le LaPsyDE montrent que des solutions pédagogiques sont possibles.
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1 Lemaire M, Ye S, Le Stanc L, Borst G, Cassotti M. The development of media truth discernment and fake news detection is related to the development of reasoning during adolescence. Scientific Reports. 2025 Feb 26;15(1):6854.
2 Ghazi M & Lemaire M, Le Stanc L, Létang M, Citron P, Decrombecque E, Mousset C, Cassotti M, Borst G. Fostering media truth discernment in adolescents by combining media literacy and analytical thinking: a promising yet challenging approach. Computers in Human Behavior Reports. 2025 Dec 1;20:100788.
Ressources
Résultats détaillés de la troisième étude
919 o
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