La connaissance des faits religieux est indispensable pour une bonne compréhension de notre histoire. Or, nombreux sont les enseignants qui ne savent pas comment l’approcher avec leurs élèves.
Un bref coup d'oeil sur les programmes montre que, tant à l'école primaire qu'au collège ou au lycée, le fait religieux tient une grande place. Ainsi, on est amené à considérer (bien peu il est vrai, et c'est bien dommage) les religions de la Méditerranée antique orientale ; la religion romaine qui, moins qu'une religion, est plutôt un culte civique ; le christianisme qui s'empare progressivement du monde méditerranéen et de l'Europe du nord ; l'Islam, dont l'irruption foudroyante couvre en un demi-siècle un espace qui va de l'Atlantique aux portes de la Chine ; les religions découvertes en Amérique à la suite des voyages de Christophe Colomb, etc.
Le fait religieux aborde aussi la question des hérésies (avec les Cathares) et les schismes successifs qui ont affecté la religion chrétienne, sans beaucoup les expliquer, il est vrai : le Grand Schisme, une séparation dont la plaie saigne toujours, entre catholiques et orthodoxes ; la séparation entre catholiques et protestants, qui mit plusieurs siècles à se cicatriser. Sans compter les religions de sociétés secrètes telles que la franc-maçonnerie, toujours présente et dynamique en Europe comme en Amérique du Nord. Bref, cette liste, qui est loin d'être complète, montre que dans notre enseignement scolaire, l'évocation du fait religieux tient une grande place.
Une composante de société
Le terme “fait religieux” risque de paraître statique. Or, composante de société, le fait religieux évolue dans le temps, se donne des raisons d'être et de se montrer, et traduit sa volonté d'exister et sa soif de puissance à travers l'architecture et les diverses formes d'expression culturelles.
En ce sens, l'art est une aide puissante pour l'enseignement du fait religieux, pour autant qu'on ne se laisse pas enfermer dans la description et l'analyse stylistique. Ainsi, la multitude de petites églises romanes en Catalogne accompagne la “reconquête” sur l'islam ; l'expansion du gothique suit celle de l'Europe ; les églises forteresse d'Albi, Narbonne ou Capestang sont là pour nous rappeler les grandes étapes du pouvoir de l'Église au Moyen Âge. Saint-Pierre de Rome est le manifeste de la Papauté conquérante dans une Europe déchirée par les guerres de religions, etc.
Le passage du gothique au baroque n'est pas qu'un mouvement artistique, c'est une révolution culturelle en profondeur, axée sur une vraie pédagogie de la foi et un encadrement du fidèle par tous ses sens : la musique, la peinture, le chant, les encens, tout contribue à le charmer, au sens fort du terme. C'est dire que le fait religieux se traduit par une position politique majeure. Au collège comme au lycée, on ne peut l'ignorer. Montmartre,rappelons-le, a été édifié en “expiation des crimes de la Commune de Paris”. Il faut relire les auteurs du xixe siècle, Vallès, Hector Malot, qui ont su parler aux enfants, à travers des enfants, pour comprendre la société du temps.
Car la composante “fait religieux” doit se considérer dans l'espace et dans le temps. C'est toujours la relation à l'autre qui est au coeur du problème. La confrontation de tableaux et de photographies peut alors être très éclairante, comme peut l'être toute la documentation tirée de la colonisation, ou, plus simplement encore, des zoos humains dont on parle aujourd'hui.
On sait que dans le cadre des expositions universelles, la France (mais a-t-elle été la seule à le faire ?) a exposé des individus, installés dans des espaces où étaient faussement recréés leur environnement, et on venait les voir comme on va voir les singes au Jardin d'acclimatation. Ce que l'on stigmatise, c'est celui qui est différent, qui ne pense pas comme vous, qui ne mange pas comme vous… Le fait religieux atteint alors son sens le plus profond : il est celui qui témoigne des liens qui relient des sociétés entre elles, ou non.
Espace-temps du fait religieux
Comment parler du fait religieux ? En appliquant la même méthode que l'on a mise en place pour toute acquisition intellectuelle, à savoir par l'étude d'ensembles documentaires que l'on relativise en comparant avec ce qui est semblable ou différent, dans l'espace et dans le temps. Le discours sans éléments de comparaison est dogmatique. Un petit exercice tout simple en primaire serait d'établir l'année des fêtes et des célébrations chez les Catholiques (ou les Protestants), les Juifs et les Musulmans.
On verrait alors que les différences ont toutes leur bien-fondé, souvent d'ordre culturel plus que cultuel, et que certaines fêtes peuvent être des contagions d'autres cultures, comme Halloween et le Père Noël ; d'autres peuvent être tout simplement le fait d'un point de départ commun comme la Pâque juive et la Pâque chrétienne, etc.
Dès le cours moyen, puis au collège et au lycée, on pourrait raisonner sur des frises chronologiques et sur des cartes, au vu de l'expansion ou de l'imbrication des croyances. L'Europe, d'abord en Méditerranée puis dans ce que l'on appelle l'Europe centrale, a été pendant de longs siècles, une Europe musulmane. Mais au sud ce sont les “morisques”, les Berbères, qui ont joué un rôle, alors qu'à l'est de l'Europe, ce sont les Turcs. Des habitudes alimentaires, de la vie quotidienne, ou dans le système des valeurs, sont aujourd'hui encore les témoins de ce long compagnonnage qui n'a pas toujours été ressenti comme un joug, loin de là.
Fait religieux et religion
Enfin, les religions sont des héritages, que l'on a aménagés ou que l'on a conservés. Là aussi, nous devons être très prudents. La religion catholique se caractérise par une structure hiérarchique très stricte, héritée de l'administration romaine. Mais son rituel a été très simplifié et s'est largement ouvert depuis Vatican II. La religion musulmane se pratique sans besoin d'un clergé structuré, mais elle garde, comme la religion juive, une nette séparation des sexes dans la pratique de la foi. Ce sont des étapes de leur histoire. Notre mission à nous est de les respecter, tout en leur demandant de respecter à leur tour la règle de la laïcité, qui caractérise leur pays d'accueil.
En revanche, cet enseignement du fait religieux à l'école ne doit pas verser dans un enseignement de la religion, qui n'aurait pas sa place et qui contribuerait à dresser les gens les uns contre les autres. L'enseignement du fait religieux concerne une partie du programme qui est déjà en pratique ; le législateur nous conseille de le traiter en interdisciplinarité, en histoire des arts bien sûr, mais aussi avec le recours de la littérature, c'est essentiel. Aller au-delà, ou plus loin, ce serait dépasser les objectifs et verser dans l'outrance.