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L’Inspectrice de l’Éducation nationale, Mariannick Dubois-Lazzarotto, autrice laïcité et faits religieux, explique pourquoi l’assassinat de Dominique Bernard et les événements du Proche-Orient percutent les enseignants. Elle donne des conseils pour évoquer les questions de liberté d’expression, de séparation des pouvoirs et des religions au sein des classes.

Les temps de parole organisés le lundi 16 octobre, à la suite de l'assassinat de Dominique Bernard, étaient-ils indispensables ?

Oui, je le pense : il faut écouter les élèves mais des échanges préalables entre enseignants sont indispensables. Précédemment, lors de l'attentat contre Samuel Paty, ces temps n'avaient pas été systématiquement acceptés par la hiérarchie de l'Éducation nationale :  cela avait choqué de nombreux enseignants.

En effet, ces attentats posent à chacun la question du sens de sa vie et de ses croyances. Les petits élèves demandent facilement : "Et toi, tu y crois ou pas ?"  Il faut un temps pour préparer des réponses sensibles et laïques. L'enseignant peut par exemple dire : "Je note ta question mais je ne peux pas trop en parler maintenant, car je suis ému comme toi."

Dans ce type de réponse, on est simplement d'humain à humain, et on reste cependant dans la neutralité professionnelle.

Comment ces événements peuvent-ils toucher les enseignants ?

J'ai participé aux interventions, en tant que membre d'une équipe d'urgence, auprès des lycées à Paris juste après les attentats de 2015 et des écoles de Paris après les attentats du Bataclan. Ces événements meurtriers percutent les enseignants doublement : il peut y avoir une fragilisation personnelle comme victime ou proche de victime et une fragilisation sur le plan professionnel.

Sur le plan professionnel, ce type d'attentats touche un point particulier chez beaucoup d'enseignants :  l'enseignement de la laïcité, pendant des années, conçue comme acquise et comprise. Ré-expliquer les fondements historiques et l'actualité n'est pas évident si la formation continue n'a pas suivi. L'autre élément est qu'il est nécessaire de séparer le bon grain de l'ivraie, de ne pas tomber dans les amalgames…. Or, la connaissance des religions, n'est pas du tout dans le référentiel des enseignants et surtout des plus jeunes. Il faut à la fois expliquer la laïcité, dire qu'elle n'est pas contre les religions et en plus, distinguer les fanatismes qui existent dans toutes religions des croyances compatibles avec la République.

Certains enseignants n'ont pas souhaité prendre la parole lundi devant les enfants pour dialoguer au sujet de la laïcité et de la liberté d'expression. Qu'en pensez-vous ?

Il peut y avoir, en effet, des questions apparemment agressives ou dérangeantes sur les dogmes et croyances, que l'enseignant n'avait pas prévues. Il est préférable qu'il enregistre ces questions et y revienne après avoir échangé avec des collègues plus aguerris ou des formateurs. Il faut le temps de préparer le cours. Les enfants le comprennent très bien à condition qu'on ait entendu leur expression spontanée.

Les questions à propos de la religion sont souvent revenues dans les commentaires de élèves. Comment y répondre ?

Par trois précisions. Tout d'abord, c'est la neutralité des enseignants qui doit être reprécisée. Dans la République française, la neutralité, ce n'est pas accepter tout. C'est le fait de poser comme universel et premier la loi des citoyens, quelle que soit la croyance personnelle de l'un ou de l'autre, ou sa non-croyance. Cette neutralité n'est pas fade. Un enseignant doit témoigner des valeurs de la République, qui s'appuient sur la raison et la connaissance. Il peut, par exemple, dire : "Voilà ce qui est universel et partagé scientifiquement" et ensuite, "les croyances des uns et des autres sont à respecter telles quelles, mais elles sont personnelles".

Deuxième précision : une autre question souvent posée concerne la liberté d'expression, qui a ses limites en France, contrairement aux États-Unis. L'appel à la haine, l'homophobie, le racisme, l'antisémitisme ne sont pas des opinions mais des délits. Tous les enseignants n'ont pas cela en tête tout de suite mais il s'agit d'un élément de réponse rapide à donner à ses élèves.

Dernière précision, la connaissance culturelle (à distinguer du culte) des religions fait partie des programmes car elles ont contribué à notre patrimoine partagé : œuvres d'art, musiques, architectures, traditions (fêtes calendaires…), figures littéraires et archétypes…

Quand parler de la laïcité ? Dans un cours ultérieur ?

La laïcité va venir très vite dans les questions des élèves qui vont évoquer des États où la religion n'est pas séparée de l'État. Il faut rappeler qu'en France, avant la loi de 1905, les pouvoirs anciennement dans la même main du roi, ont été séparés à la Révolution de 1789. Cette double séparation (séparation des pouvoirs de l'État entre eux, puis séparation « des églises et de l'État ») est l'élément central de la laïcité. Il est utile de rappeler que dans certains États théocratiques la justice n'est pas séparée des pouvoirs exécutifs et législatifs.

Cette double séparation est à expliquer et à réviser pour les élèves, car la question du blasphème revient souvent avec les caricatures dans la presse. En insultant Dieu, on insulterait l'autorité qui représente tous les pouvoirs. Cela nécessite effectivement plusieurs cours pour être précis. Mais il faut dire très tôt que la France et d'autres pays ont acté constitutionnellement une séparation claire entre la chose publique et la conscience personnelle.

La laïcité à la Française semble, en effet, revenir comme une critique dans les questions des collégiens et lycéens.

En effet, la laïcité à la française est considérée comme un athéisme par certains États théocratiques. Là aussi, l'enseignant peut noter, dans sa "to do list à différer", l'intervention comme un point à éclaircir, et écrire entre guillemets les expressions des enfants et des adolescents. Dans les cours ultérieurs, il pourra reprendre leurs mots, qui peuvent être faux, et leur demander : "Quand tu utilises ces mots-là, est-ce que tu sais à quoi cela correspond ?". On s'aperçoit que les élèves font souvent un copier-coller de ce qu'ils ont entendu dans leur famille ou leur sphère religieuse. En précisant les mots et les contextes historiques et géographiques, l'école aide les élèves à la prise de distance et à la conquête de la pensée critique : combien confondent encore nationalité, langue et religion, et n'imaginent pas qu'un israélien puisse parler arabe et se dire athée ?

"Voyage en cultures", pour comprendre les religions et le pluralisme des convictions

Mariannick Lazzarotto a développé à Paris le programme "Voyage en cultures" avec la ligue de l'enseignement, le rectorat, la ville de Paris, la préfecture, le conseil départemental des familles laïques, sur les différentes manières dont le sens de la vie est interprété. Il s'adresse aux classes de cycle 3 des écoles et collèges.

Le programme présente les trois monothéismes, la différence entre connaissances et croyances. Il y a ensuite une ouverture sur les mythes, les cultures asiatiques. L'an dernier, douze classes ont participé, cette année comptera 13 classes. "Nous travaillons avec le Musée d'art de d'histoire du judaïsme et l'Institut du monde arabe à Paris et avec le musée de la basilique Saint-Denis, ajoute-t-elle. Nous abordons les mythes très anciens, la différence entre la connaissance, les croyances et les athéismes."

La répétition de situations pédagogiques est importante :  l'enseignant organise au moins cinq rencontres pendant l'année scolaire avec des œuvres culturelles et des musées différents.

"L'objectif est de distinguer connaissance et croyance, et de montrer la richesse et la diversité des croyances et non-croyances, y compris au sein d'une même religion. C'est le combat que l'école laïque doit mener, montrer qu'il y a des différences et apprendre aux élèves à les respecter dans la République" indique Mariannick Lazzarotto.

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