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Professeur de lettres, créatrice de la plateforme de podcasts éducatifs Clapotee et du site de travail Educatee, Cécile Cathelin a introduit l’intelligence artificielle en classe en initiant ses élèves à la méthode Craft, pour les aider à structurer leurs prompts. L’un des impacts majeurs de l’utilisation de l’IA est le retour du brouillon dans les habitudes des élèves, renforçant leur capacité à structurer leur pensée. Elle souhaite conserver un usage de l’IA ponctuel et encadré, avec une charte définissant son rôle comme un outil d’accompagnement, et non un substitut pédagogique.
Vous avez intégré l'intelligence artificielle dans votre enseignement. Comment cette idée vous est-elle venue et comment l'avez-vous introduite en classe ?
Cécile Cathelin : J'ai découvert ChatGPT fin 2022 et j'ai commencé à explorer ses possibilités dès les vacances de Noël. Très vite, en février, j'en ai parlé à mes élèves de seconde et de première sans tabou. Beaucoup avaient déjà entendu parler de l'outil, souvent sous l'angle de la triche. Plutôt que d'ignorer la question, j'ai choisi d'en faire un sujet de discussion intelligent. Échangeant avec les membres de l'association EdTech France, cette thématique m'intéressait déjà.
J'ai instauré avec mes élèves la méthode Craft (pour « Contexte, rôle, action, forme et ton »), qui a pour but d'apprendre aux élèves à créer de bons prompts pour obtenir de bonnes réponses : pour formuler une question pertinente à l'intelligence artificielle, il faut bien maîtriser son cours. Afin d'illustrer cela, nous avons comparé un bon et un mauvais prompt en classe. Ils ont ainsi compris que l'IA est un outil exigeant qui oblige à structurer sa pensée.
Concrètement, comment utilisez-vous l'IA au quotidien avec vos élèves ?
J'ai réfléchi aux séances qui se prêtaient le plus à l'usage de l'IA générative pour l'utiliser et j'ai conçu une véritable progression pédagogique en prenant en compte ce nouvel outil. Nous travaillons en trois phases : tout d'abord, les élèves rédigent un brouillon sur un sujet donné autour d'une compétence exigée par les programmes. Ensuite, ils comparent leur production à des propositions générées par Perplexity, qui présélectionne des sources fiables, cinq sources par exemple au lieu de dix pages sur Google. Après la première requête, elle suggère des questions annexes.
Enfin, ils réécrivent leur texte en tirant parti des éléments pertinents. Cette approche favorise une réflexion critique sur le rôle de l'IA et l'importance de l'intelligence humaine. Le retour des élèves sur cet usage est intéressant car certains trouvent que l'IA déforme leur pensée, d'autres estiment qu'elle enrichit leurs propos. Quoi qu'il en soit, tous comprennent que c'est un compagnon occasionnel, pas un substitut.
Je séquence aussi avec le concept de la classe mutuelle. Il y a le temps magistral, puis le Craft s'insère dans la phase 2 qui s'appelle la phase de mutualisation durant laquelle les élèves travaillent par équipes. Enfin, nous échangeons sur les éléments à conserver dans le cours. L'objectif est d'avoir une réflexion sur la scénarisation de l'outil durant laquelle j'accompagne les élèves et leur montre que ce sont eux qui ont réfléchi.
Avez-vous constaté des évolutions dans les habitudes de travail de vos élèves ?
Oui, et l'un des changements les plus marquants concerne l'utilisation du brouillon. Avant, mes élèves le délaissaient, préférant se lancer directement dans la rédaction finale. Aujourd'hui, grâce à l'IA, ils comprennent l'importance du brouillon comme outil de structuration de la pensée. Avec l'IA, le brouillon est revenu au centre de l'apprentissage. J'ai même mis en place une « boite à brouillons » dans la classe pour les inciter à prendre le temps d'avoir un regard constructif sur leurs idées avant de finaliser leurs productions. De plus, l'IA leur offre une vision plus objective de leur travail : ils voient concrètement ce qui fonctionne et ce qui peut être amélioré. Elle a remis au goût du jour l'idée de faire des brouillons.
Quel est votre regard sur l'avenir de l'IA dans l'éducation ?
Je pense que l'IA a un rôle clé à jouer, mais à condition d'être utilisée intelligemment. L'acculturation à ces outils doit se faire progressivement. Pour moi, l'IA n'a pas sa place avant la quatrième ou la troisième, car les savoirs fondamentaux doivent être bien installés avant d'explorer ces technologies. Avec mes classes de première, j'intègre l'IA notamment avec NoteBook LM pour les fiches de révision et de synthèse. Depuis 2024, l'IA s'est ritualisée dans mes pratiques. J'insiste beaucoup sur le fait que l'intelligence artificielle est un compagnon parmi tant d'autres à solliciter comme un outil.
Je veille cependant à un équilibre : durant mes 4 heures de cours avec les élèves, il arrive que l'IA ne soit utilisée que pour une séance d'une heure… Tout dépend des objectifs affichés. L'innovation ne doit pas se faire au détriment de la tradition. Comme le disait Apollinaire : « La modernité, c'est la tradition combinée à l'innovation ». C'est un usage ponctuel et je leur dis ou pas s'ils peuvent s'en servir, en respectant une charte écrite sur mon site.
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