L'objectif de cette recherche collaborative, en collaboration avec l'Université de Lausanne, était d'évaluer l'efficacité d'un entraînement au comptage sur les doigts sur les performances de résolution d'additions. Près d'une trentaine d'enseignants ont participé et grâce à eux, le comportement de 325 élèves de GS a pu être observé. Ceci nous a permis de récolter un ensemble de données fiables et d'obtenir des résultats plus qu'intéressants ! Pour tout ça, nous vous remercions !
Retour sur la recherche menée
La recherche se déroulait en trois temps. Tous les enfants étaient tout d'abord pré-testés sur une tâche de résolution de 10 additions impliquant des nombres de 1 à 5. Pour chaque opération, il était noté si les enfants utilisaient leurs doigts ou non pour la résolution ainsi que le succès ou l'échec de cette résolution.
La moitié des enfants intégrait alors le groupe expérimental dans lequel ils étaient entrainés à l'utilisation d'une stratégie de comptage sur les doigts. Cette stratégie appelée la stratégie « TOUT » consiste à représenter un opérande sur les doigts, puis l'autre pour enfin recompter tous les doigts levés. Par exemple pour le problème 4 + 3, l'enfant doit lever 4 doigts sur une main, 3 doigts sur l'autre et compter tous les doigts levés de 1 jusqu'à 7. L'entrainement prenait place sur deux semaines consécutives à raison de 3 séances par semaine. Quinze problèmes étaient travaillés au cours d'une semaine et étaient répétés la semaine suivante. Les problèmes entrainés différaient tous des problèmes évalués lors du pré-test et des post-tests.
Après deux semaines, tous les enfants, même ceux qui n'avaient pas été soumis à l'entrainement (i.e., groupe contrôle), étaient de nouveau évalués lors d'un post-test. Ce post-test était qualifié d'immédiat pour le groupe expérimental car il se déroulait à l'issue de l'entraînement.
Après deux semaines de vacances, les enfants du groupe contrôle étaient soumis à leur tour au programme d'entraînement puis à un post-test immédiat. A ce moment-là, les enfants du groupe expérimental étaient à nouveau post-testés. Ce post-test constituait donc pour eux un post-test différé prenant place un mois après la fin de leur entraînement.
Les résultats de la recherche
Lors du pré-test, nous avons pu observer que 62% des enfants comptaient sur leurs doigts lors de la résolution des additions. Ces enfants présentaient de meilleures performances (83% de réussite) que les enfants qui ne comptaient pas sur leurs doigts (40% de réussite). Ce résultat ne nous a pas surpris car il était déjà établi dans la littérature scientifique que les enfants qui comptent sur les doigts à l'âge de 5-6 ans ont un niveau en arithmétique supérieur à celui des enfants qui n'utilisent pas leurs doigts pour résoudre les calculs.
Parmi les 325 enfants dont nous venons de décrire le comportement, 136 faisaient partie du groupe contrôle et 189 faisaient partie du groupe expérimental. Parmi les enfants du groupe expérimental, 44% (i.e., 83 enfants) n'utilisaient pas leurs doigts pour résoudre les problèmes. Ce sont ces enfants qui ont particulièrement retenu notre attention puisqu'il était possible de leur enseigner une stratégie qu'ils n'utilisaient pas spontanément. Cet enseignement a été assimilé par la majorité des enfants puisque, lors du post-test, 77% d'entre eux utilisaient la stratégie de comptage sur les doigts enseignée durant l'entraînement. Dans le groupe contrôle, seulement 17% des enfants se sont mis à compter sur les doigts spontanément sans que nous n'intervenions. Ce premier résultat est digne d'intérêt puisqu'il met en évidence que la stratégie de comptage sur les doigts est enseignable et qu'elle est ensuite utilisée par les enfants sans qu'on ne les contraigne à le faire.
Cependant, le résultat majeur de notre étude est qu'alors que le niveau de réussite des enfants du groupe expérimental qui ne comptaient pas sur leurs doigts était de 39 % au pré-test, il atteignait 80% au post-test immédiat. Cette progression était bien plus importante que celle des enfants qui ne comptaient pas sur leurs doigts dans le groupe contrôle qui passaient de 42% à 50% de réussite entre le pré-test et le post-test. Notre entraînement a donc permis une amélioration de 41% alors que la progression naturelle sans intervention de notre part n'était que de 8% (Figure 1). De plus, on remarque que les 77% d'élèves du groupe expérimental qui appliquaient la stratégie enseignée au post-test, avaient un taux de réussite qui passait de 33 à 87%, alors que les 23% autres élèves qui, suite à l'enseignement, n'utilisaient toujours pas leurs doigts au post-test, la réussite passait de 57 à 59%. L'amélioration des performances était donc bien imputable à l'utilisation des doigts pour calculer et non à une autre compétence acquise incidemment durant l'entrainement.
Cette impressionnante progression des enfants du groupe expérimental en termes de performance aux additions perdurait dans le temps puisque, au post-test différé, le pourcentage de réussite était encore de 78% (contre 80% en post-test immédiat).
Il est à noter que notre intervention n'avait pas d'effet délétère sur les performances des enfants qui comptaient déjà sur leurs doigts lors du pré-test puisque, au post-test immédiat, ces enfants présentaient un pourcentage de réussite aux additions de 91%, qu'ils aient été placés dans le groupe contrôle ou le groupe expérimental.
Un autre résultat intéressant est que quel que soit le groupe d'enfants considéré (i.e., contrôle ou expérimental), il semble que les enfants qui ont arrêté de compter sur leurs doigts au cours de notre recherche n'ont pas effectué le bon choix stratégique. En effet, au niveau de la moyenne de leur groupe, leurs performances étaient toujours inférieures aux performances des enfants qui continuaient à compter sur leurs doigts. Par exemple, sur les 152 enfants du groupe expérimental qui utilisent leurs doigts au post-test immédiat et dont nous avons les résultats au post-test différé, les 124 enfants qui continuent à utiliser leurs doigts au post-test différé réussissent 91% des problèmes alors que les 28 enfants qui ont abandonné cette stratégie ne réussissent que 61% des problèmes. La stratégie de comptage sur les doigts apparait donc être la stratégie gagnante en GS.
Pour conclure, cette recherche est la première démontrant expérimentalement les bienfaits d'un entraînement du comptage sur les doigts sur les performances des enfants dans une tâche arithmétique de résolution d'additions. En d'autres termes, l'ensemble de ces résultats permet d'affirmer pour la première fois que l'enseignement d'une stratégie de comptage chez les enfants de grande section de maternelle qui n'utilisent pas d'eux-mêmes cette stratégie est un outil pédagogique efficace à promouvoir.
Les études futures devront déterminer si les enfants apprennent plus qu'une procédure de résolution par le biais de l'enseignement du comptage sur les doigts. Grâce à cet enseignement, l'enfant pourrait en effet progresser dans la construction de sa compréhension de la notion de nombre notamment à travers une plus grande maitrise des principes de dénombrement tels que la correspondance terme à terme, le principe de cardinalité ou encore le principe d'abstraction.