Source : Nashidil Rouiaï, "L’Inde devient-elle un État hindou antidémocratique ?" Carto n°58, mars-avril 2020 - Crédit de l'illustration : © sissoupitch / Adobe Stock

La loi de 2019 (Citizenship Amendment Act) modifie celle de 1955, qui fondait la citoyenneté sur deux motifs principaux : l’origine indienne basée sur la naissance et l’ascendance d’une part, et la résidence longue et continue en Inde d’autre part. Désormais, l’attribution de la nationalité est étendue à tout réfugié hindou, sikh, bouddhiste, jaïniste, parsi et chrétien en provenance du Bangladesh, du Pakistan ou d’Afghanistan entré en Inde avant 2015. Le gouvernement indien justifie cette loi par l’importance des persécutions religieuses que peuvent subir ces communautés dans leur nation d’origine. C’est à ce même titre qu’il prévoit l’exclusion des musulmans, arguant que ces trois pays ayant l’islam comme religion d’État, ses adeptes ne peuvent pas y avoir souffert de persécutions.
Le premier problème que pose cette norme réside dans sa déconnexion d’avec la Constitution qui définit l’Inde comme « une république souveraine, socialiste, laïque, démocratique », à la différence du Pakistan, qui, lors de la partition de l’ancien Empire britannique des Indes en 1947, fut créé comme une République islamique. Dès lors, inclure la religion comme critère de citoyenneté indienne est un défaut de constitutionnalité. Le second problème réside dans le déni des autorités face aux répressions que vivent les musulmans dans les pays voisins.
[…] L’ambition gouvernementale d’établir une nation hindoue se dessine à l’aune de plusieurs décisions prises en 2019, et dont la nouvelle loi sur la citoyenneté marque le point d’orgue : l’annexion et l’occupation militaire du Cachemire à majorité musulmane en août ; l’exclusion le même mois de 1,9 million de résidents indiens majoritairement musulmans de la liste des citoyens de l’État d’Assam ; la décision de la Cour suprême en novembre d’autoriser la construction d’un temple hindou à Ayodhya, site où une foule militante nationaliste avait détruit en 1992 une mosquée, déclenchant l’un des pires conflits intercommunautaires de l’histoire moderne de l’Inde avec 900 à 2 000 victimes, pour la plupart musulmanes. Ces décisions s’ajoutent aux nombreuses déclarations islamophobes de Narendra Modi et de son ministre de l’Intérieur, Amit Shah.
Dans les dix jours ayant suivi l’adoption de la nouvelle loi sur la citoyenneté, des manifestations réunissant musulmans, hindous, dalits (intouchables) et membres d’autres communautés ont éclaté à travers le pays. […]
En réponse aux protestations, le gouvernement central a instauré une loi martiale interdisant les rassemblements de plus de quatre personnes dans plusieurs territoires, où les télécommunications ont été interrompues. Les manifestants ayant bravé ces interdictions ont été réprimés : à la fin du mois de décembre, le bilan humain s’élevait à 27 morts et dans l’Uttar Pradesh, plus de 5 000 personnes ont été placées en détention préventive. Ces décisions viennent renforcer de profondes divisions dans un pays où les systèmes d’oppression sont inhérents à l’ordre des castes. Elles érodent aussi un peu plus une démocratie indienne déjà fragilisée par l’étouffement de la presse indépendante et des médias numériques, par la neutralisation du système judiciaire et l’intimidation des opposants.
Questions
1. Quels sont les critères d’attribution de la citoyenneté indienne dans la loi de 1955 d’une part et dans la loi de 2019 d’autre part ?
2. En quoi la loi de 2019 remet-elle en cause le sécularisme indien ?
3. Pourquoi peut-on dire que la démocratie est menacée en Inde ?
Cet article peut venir enrichir l'ouvrage Histoire-Géographie, Géopolitique, Sciences Politiques (HGGSP) - 1re

Chapitre 15 (« État et religions en Inde »)
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