INTERVIEW
Colette Hennetier-Eude
Professeure des écoles, enseignante en école maternelle (Seine-Maritime)
Auteur des ateliers : Le Bon Sens des Mots et Le bon sens des Syllabes
Au cycle 1, la manipulation et l’utilisation de la langue orale sont des objectifs prioritaires. C’est ainsi que l’enfant prend progressivement conscience de la composition et des mécanismes du langage, et se prépare à entrer dans l’écrit. Avec l’atelier Le Bon Sens des Mots, Colette Hennetier-Eude apporte un outil efficace pour développer les compétences nécessaires à la construction de phrases courtes et comprendre la relation entre l’oral et l’écrit.
Pourquoi et comment développer la syntaxe chez les jeunes enfants ?
Parallèlement aux activités menées sur les sons (jeux sur les rimes, recherches de syllabes communes dans des mots, etc.), le travail sur la phrase permet de mettre en place des structures syntaxiques : il s'agit de faire percevoir qu'une phrase est un ensemble de mots et que l'organisation de ces mots est importante pour que la phrase ait un sens. Par exemple, les enfants prennent plaisir aux jeux grammaticaux consistant à changer la place des mots dans la phrase (« Papa regarde un éléphant. » devient « Un éléphant regarde Papa. »), ou encore le verbe (« Lucas regarde un éléphant. » devient « Lucas porte un éléphant. »).
L'enseignant(e) est un(e) « meneur de jeu » : il guide, fait participer, sollicite, écoute, aide à reformuler... Il (Elle) doit veiller, dans la formulation de ses consignes et de ses explications, à toujours utiliser un langage cohérent, construit, compréhensible par tous les enfants. De cette façon, il (elle) amène progressivement les élèves à découvrir la façon dont fonctionne le langage, à faire leurs propres tentatives et à enrichir leur expression. Il est également important de parler avec calme, les jeunes enfants étant particulièrement sensibles à l'intonation et à la manière de dire.
Les échanges seront facilités et plus spontanés s'ils peuvent faire appel au vécu et aux expériences des élèves. Et si toutes les occasions sont propices aux activités langagières, l'enfant sera davantage stimulé à certains moments privilégiés, en particulier lorsqu'il « agit » et se sent impliqué dans une activité.
Comment avez-vous eu l'idée de créer cet atelier ?
L'idée m'est tout simplement venue en travaillant avec mes élèves : je leur propose quotidiennement des activités de mise en relation de photos (portrait des enfants de la classe ou photos de personnages) et d'images (par exemple des aliments). Le verbe n'est pas illustré : il est écrit sur une étiquette-mot. À l'aide de ces trois supports, les enfants s'amusent à construire des phrases. Progressivement, ils deviennent capables de remplacer les images par les mots écrits et d'effectuer des substitutions pour créer de nouvelles phrases.
Vous introduisez très tôt le mot « écrit ». Les élèves n'éprouvent-ils pas des difficultés ?
Les enfants se familiarisent très tôt à l'école avec leur prénom écrit et ils deviennent rapidement capables de l'utiliser dans des situations variées. Par ailleurs, le travail consistant à associer des images au mot écrit correspondant leur est familier, tout comme chercher des mots connus dans les albums lus en classe. Finalement, l'écrit ne les effraie pas du tout ! Au contraire, j'ai toujours constaté que les élèves sont fiers et éprouvent un véritable plaisir à accéder ainsi au monde des « grands ». C'est l'objectif prioritaire du Bon Sens des Mots : mettre en relation langage oral et découverte de l'écrit.
Votre matériel se présente sous une forme ludique. Est-ce pour encourager la manipulation ?
Oui, la manipulation est un autre aspect essentiel pour moi. En manipulant les mots, l'enfant se les approprie peu à peu. Il les photographie, en quelque sorte, et les mémorise. Il devient aussi capable de repérer des similitudes entre les mots écrits : par exemple entre « maman » et « mange ».
Pourriez-vous préciser les objectifs pédagogiques de votre atelier et donner quelques exemples concrets d'utilisation en classe ?
L'un des principaux objectifs est d'amener progressivement l'enfant à s'approprier l'ordre des mots dans une phrase. Il s'agit notamment de dépasser le stade de l'énumération lorsqu'il décrit une image pour formuler une phrase correcte en respectant la syntaxe.
Pour éviter d'introduire trop de difficultés à la fois, le vocabulaire proposé est simple et précis : quatre cartes-personnages (Papa, Maman, Lilou, Lucas), quatre cartes-verbes (faire, manger, regarder, porter), un ensemble de cartes-mots du vocabulaire courant (gâteau, banane, singe, cartable, etc.). L'enfant construit des phrases simples à l'aide de ces cartes, puis dans un deuxième temps, associe la carte-scène correspondant à la phrase qu'il a construite.
Parallèlement à l'acquisition de structures syntaxiques très simples, ce matériel permet de passer du « Dire » au « Lire ». C'est son autre objectif prioritaire : établir la relation entre langage oral et langage écrit.
- L'enfant se familiarise avec l'écrit en reconnaissant des mots simples : au dos de chaque image, le nom du personnage ou le mot sont écrits en script.
- Il apprend à retrouver des mots connus dans une phrase écrite : au dos de chaque carte-scène figure la phrase écrite en script (par exemple « Lilou mange une glace. »)
- Des bandes récapitulatives proposent, en quatre étapes, les illustrations et le déroulé de la scène, ainsi que les mots écrits au verso dans le même ordre. L'enfant est obligé de respecter le sens de la lecture (de gauche à droite), ce qui est loin d'être acquis par tous les élèves ! Les orthophonistes que je rencontre témoignent très souvent de la nécessité de rééduquer le sens de lecture chez les enfants qu'ils accompagnent.
Signalons aussi que les cartes-mots permettent de sensibiliser les élèves au genre d'un nom : en effet, chaque mot est précédé d'un déterminant, comme dans la phrase orale ou écrite. Les enfants apprennent à différencier « un » et « une » et peuvent alors effectuer des activités de tri (noms masculins/féminins).
En prolongements, le matériel ouvre de nombreuses possibilités d'utilisation :
- Faire construire des phrases drôles ou insolites.
- Mettre en place des activités phonologiques : repérer le nombre de syllabes ou la première syllabe d'un mot.
- Proposer des activités d'analyse « phono-graphique » : prélever des indices afin d'identifier chaque mot, effectuer des correspondances phonème-graphème.
- Découvrir le fonctionnement d'un tableau à double entrée.
Quels conseils donneriez-vous pour exploiter cet atelier dans la classe ?
Comme pour tout matériel pédagogique, la phase de découverte collective est importante pour familiariser les enfants avec les cartes et les bandes récapitulatives. L'accompagnement par l'adulte en atelier dirigé permet de travailler la reconnaissance des mots écrits (éventuellement le genre des noms) et la construction de phrases, en procédant à des jeux de substitution (sujet, complément). Puis progressivement, selon des rythmes différents, les enfants gagnent en autonomie et accèdent à d'autres activités déterminées par l'enseignant(e).
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